Alger a vu dans la soutien de Paris au Maroc «un lâchage, une volte-face cynique de la part d’un membre permanent du Conseil de sécurité», dit Xavier Driencourt dans un article fleuve publié sur Causeur. «Il faut rappeler que la France n’a pourtant pas négligé d’infinies précautions pour amadouer Alger et ne pas froisser la susceptibilité du locataire d’El Mouradia. Une conseillère du président de la République s’était, fin juillet, rendue à Alger, pour soumettre aux autorités algériennes le texte de la lettre que comptait écrire le président au roi du Maroc, ce qui en dit long sur notre indépendance diplomatique», dévoile l’ambassadeur.
Les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie continuent de se tendre, exacerbées par les récentes critiques du président Abdelmadjid Tebboune à l’égard de Paris. Dans une analyse publiée dans le dernier numéro du magazine Causeur, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, revient sur les retombées des déclarations d’Alger et sur les causes profondes de cette tournure conflictuelle qui persiste entre les deux pays. «Paris, pour se rendre à Rabat, n’a en effet pas hésité à faire le chemin de Canossa, le Sahara occidental et l’amitié du royaume chérifien valent bien une messe», glisse le responsable français. Plusieurs fois repoussée depuis mai 2023 et finalement prévue début octobre, la visite en France du président algérien Abdelmadjid Tebboune a été annulée. «Je n’irai pas à Canossa», a-t-il déclaré lors d’un entretien à la télévision nationale.
Le président Tebboune a accusé la France de soutenir des «lobbies» afin d’interférer dans les affaires intérieures de l’Algérie et de manipuler la mémoire historique, notamment à propos du Sahara. Selon M. Driencourt, cette position traduit «une volonté de maintenir une relation conflictuelle», dans le cadre d’un discours nationaliste qui met en avant une «mémoire sélective» de la colonisation. L’ambassadeur relève que les autorités algériennes continuent de se fonder sur cette mémoire pour entretenir leur légitimité politique, mais aussi pour éviter d’aborder les questions internes plus épineuses, notamment la gouvernance et la crise sociale actuelle.
«Le régime algérien, en entretenant cette mémoire du passé, cherche à masquer les faiblesses de son gouvernement», indique Xavier Driencourt. L’ancien diplomate souligne que le pouvoir en place préfère «accuser la France de falsifier l’histoire» tout en cultivant une image idéologique qui lui permet de justifier une gestion autoritaire et de détourner l’attention des problèmes internes.
«Il faut une relation adulte et pragmatique avec l’Algérie»
Le discours de M. Tebboune n’est pas limité à la colonisation, mais s’étend également aux relations bilatérales, en particulier à l’accord franco-algérien de 1968. Ce traité, qui avait permis de réguler les relations entre les deux pays, est désormais présenté par le président algérien comme une «coquille vide.» M. Driencourt, pour sa part, réfute cette interprétation, rappelant que cet accord a permis des «avancées concrètes», comme la facilitation des visas et du regroupement familial, qui ont largement profité à l’Algérie. «Cet accord a été essentiel pour stabiliser nos relations dans les années 70 et 80, contrairement à d’autres pays africains où la coopération avec la France a été moins efficace», explique-t-il.
Concernant le Sahara, qui reste un point de friction majeur entre la France et l’Algérie, M. Driencourt met en lumière le soutien français à la position marocaine sur ce dossier. «Cet appui à la souveraine marocaine sur le Sahara occidental a été perçu par Alger comme une trahison», note l’ambassadeur. Il souligne que cette divergence sur ce territoire est l’un des principaux facteurs ayant contribué à l’aggravation des relations entre les deux pays. «La France a choisi de soutenir le Maroc dans cette question, ce qui a provoqué une réaction hostile de l’Algérie, d’autant plus qu’elle considère ce dossier comme essentiel pour sa politique étrangère», poursuit-il.
L’ancien ambassadeur revient également sur les critiques récurrentes d’Alger concernant les essais nucléaires français dans le Sahara, les qualifiant de «crime colonial.» «Il est nécessaire de rappeler que ces essais ont eu lieu avec l’accord tacite du gouvernement algérien de l’époque», précise M. Driencourt, une nuance souvent négligée dans les discours du pouvoir algérien actuel. Il considère que cette accusation de «crime» est avant tout une manière pour le régime algérien de mobiliser l’opinion publique contre la France, tout en réécrivant certains aspects de l’histoire.
En conclusion, M. Driencourt plaide pour une évolution des relations franco-algériennes. «Il est essentiel que la France établisse une relation adulte et pragmatique avec l’Algérie, fondée sur des intérêts réels plutôt que sur des querelles mémorielles», note l’ancien diplomate. Il rappelle que les deux pays ont de nombreuses occasions de coopération, en particulier dans les domaines économiques et sécuritaires, mais que les chantages émotionnels ne doivent pas interférer dans le dialogue. «Il est temps de mettre fin à ce jeu de mémoire qui entrave le progrès des relations bilatérales et de privilégier des discussions plus constructives, fondées sur des faits et des intérêts partagés», assène M. Driencourt.